mardi 26 avril 2016

Burundi: un an de répression et toujours pas d'issue

Il y a un an, ce 26 avril, débutaient les manifestations contre le troisième mandat de Pierre Nkurunziza. La première victime s'appelait Nepo, il avait 17 ans. Depuis, la répression a fait des centaines d'autres morts, en toute impunité. Hier, la Cour pénale internationale a fini par ouvrir une enquête.

On l’appelait Nepo, diminutif de Jean-Népomuscène, et son visage s’affiche ce mardi sur Twitter à côté du hashtag #Komezamahoro, son nom de famille. Il avait 17 ans, mais c’est un visage encore enfantin qu’on découvre avec, en arrière-plan, le drapeau du Burundi. Un montage pour rappeler le souvenir de la première victime des manifestations contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza.

Ce 26 avril, il y a tout juste un an, ils étaient nombreux à être descendus spontanément dans les rues de la capitale burundaise. Une foule compacte qui entendait protester ainsi contre la décision de l’homme fort du pays de se maintenir au pouvoir, en transgressant la règle constitutionnelle qui, depuis la fin de la guerre civile (à l’aube des années 2000), limitait la présidence à deux mandats. Contre l’avis de sa mère, Nepo voulait, lui aussi, voir ce qui se passait dans la rue. «Par curiosité», diront ses proches. D’après ses parents, quand les tirs ont débuté et que la foule a commencé à fuir, Nepo a levé les mains en toute innocence pour signifier qu’il n’avait rien à voir avec tout ça. C’est alors qu’un officier de police se serait approché de lui pour lui tirer deux balles dans la tête. A bout portant.

Dans un petit pays lointain comme le Burundi, un simple petit point niché sur le flanc Est de l’Afrique centrale, les victimes de la répression sont souvent anonymes et sans visages. Depuis un an pourtant, les activistes burundais n’ont eu de cesse de diffuser, via les réseaux sociaux, les photos de ceux qui ont été arrêtés, ont disparu, ou ont été tués: photos de corps sans vie qui circulent par centaines sur Viber et WhatsApp. Sans jamais réussir à arrêter le carnage. Car malgré l’ampleur de la contestation, vite réprimée dans le sang, Nkurunziza s’est représenté en juillet lors d’une élection boycottée par l’opposition. Et pour cause: menacés, ses leaders se cachaient ou étaient déjà partis en exil.

Nkurunziza a remporté le scrutin. Et l’escalade des violences s’est poursuivie, progressivement alimentée par un discours de haine à consonance ethnique dans les médias officiels, les seuls qui fonctionnent encore, où l’on n’hésite pas à fustiger ceux qui voudraient reprendre le pouvoir «du peuple majoritaire»: «ubwoko nyamwinshi», terme effrayant car «emprunté au vocabulaire des génocidaires rwandais» rappelait, il y a quelques jours, l’intellectuel burundais David Gakunzi, installé à Paris. Au Rwanda, en 1994, un génocide orchestré au sommet de l’Etat contre l’ethnie tutsie fera prés d’un million de morts en seulement trois mois. Sous le regard impuissant ou indifférent de la communauté internationale.

Le même drame se déroule-t-il une vingtaine d’années plus tard, dans le pays voisin, composé lui aussi d’une majorité hutue et d’une minorité tutsie? Il y a des différences certes, à commencer par le fait que le drame rwandais a déjà eu lieu et qu’il hante encore la région. Mais ce n’est pas toujours un frein. Et nombreux sont ceux au sein de l’opposition en exil (laquelle est aussi bien hutue que tutsie) qui considèrent que le pouvoir, lui-même issu d’une rébellion hutue, tente de réveiller les démons ethniques pour justifier les tueries.

Une commission d’enquête aux conclusions «biaisées et fallacieuses»

Lundi, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les crimes commis depuis un an au Burundi. Une façon de confirmer la dégradation persistante de la situation, alors que disparitions et assassinats ciblés se multiplient dans un huis clos inquiétant.

Le même jour, un haut gradé chargé de la sécurité du premier vice-président, le général Athanase Kararuza a été tué lors d’une attaque fulgurante, au moment où il déposait sa fille à l’école. Sa femme a également été tuée sur le coup, son chauffeur et sa fille succomberont à leurs blessures à l’hôpital. S’agit-il d’une attaque de la rébellion, ressuscitée ces derniers mois et qui, déjà en décembre, avait attaqué plusieurs casernes proches de la capitale, entraînant une fois de plus une répression féroce et aveugle dans les quartiers contestataires? C’est la thèse des proches de Nkurunziza. Mais certains observateurs notent que cette attaque en plein jour dans la capitale vise un officier tutsi, resté fidèle à Nkurunziza, mais impliqué dans une enquête gênante pour le pouvoir: celle de l’exécution de plusieurs jeunes en décembre.

Réunifiée à la fin de la guerre civile, en englobant toutes les composantes des rébellions, l’armée burundaise est notoirement divisée et la multiplication d’assassinats d’officiers ces derniers mois ne fait, en réalité, qu’ajouter à l’opacité d’une situation tendue alors que lundi s’ouvre en principe à Arusha en Tanzanie, un «dialogue inter burundais» imposé par la communauté internationale, mais dont les contours restent flous. Or face à la dérive burundaise, les efforts de «dialogue» ont jusqu’à présent été vains. Et les reculs, trop nombreux. Certes l’Union européenne et plus récemment la Francophonie, ont stoppé toute coopération avec le Burundi. Mais la résolution de l’ONU du 1er avril, qui prévoyait le déploiement d’une police onusienne, est pour l’instant restée lettre morte. Quelques mois plus tôt, l’Union africaine avait conditionné le déploiement d’une force à l’approbation du régime en place, sans obtenir évidemment son consentement.

Le maître du pays lui se tait, vit sous haute protection, non pas à Bujumbura la capitale, mais à Gitega au nord du pays. Face aux allégations de massacres, alors que des fosses communes ont été découvertes jusque dans la capitale, le pouvoir a certes nommé une commission d’enquête mais, le 13 avril, ses conclusions ont été jugées «biaisées et fallacieuses» par l’ONG Human Rights Watch, qui rappelle que «des dizaines de personnes ont été battues en représailles à des attaques de l’opposition» et qui accuse cette commission de «dissimuler les abus généralisés commis par les forces de sécurité». Le 21 avril, trois avocats, dont un Belge et un Français, déposaient de leur côté une plainte contre le procureur général du Burundi auprès de la CPI, au nom de 60 familles de victimes. Quatre jours plus tard, la CPI annonçait l’ouverture d’une enquête. Elle s’annonce difficile, voire impossible, dans un pays cadenassé par les forces de sécurité et les miliciens.

Un an après le début des violences, l’assassin de «Nepo» n’a toujours pas été identifié. Son nom de famille (Komezamahoro) signifie, en kirundi, «consolider la paix». Un espoir qui semble encore lointain dans le Burundi de Pierre Nkurunziza.
 
Maria Malagardis   , http://www.liberation.fr/

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